L’Okinawa-Te
 |
Maître Funakoshi Gichin (1868 - 1957) est né dans le district de Yamakawa-Chô à Shuri capitale royale d'Okinawa. Il est considéré comme le père du Karaté-Do, mais l'histoire du Karaté-Do commence avant lui à Okinawa. |
Okinawa est l'île principale de l'archipel des
Ryû-Kyû qui s'étend sur environ 1.000 km de long au sud de
Kyushu et à mi chemin de
Taiwan. Elle est à la croisée des chemins entre la
Chine à l'Ouest, le
Japon au Nord et les
Philippines plus au Sud. Sa situation géographique en fait un carrefour de navigation.
Peuple de pêcheurs et d'agriculteurs, les Okinawaiens se retrouvèrent souvent confrontés à l'invasion de forces étrangères. Comme beaucoup d'îliens soumis à de telles situations, l'esprit de résistance devint une seconde nature et de tous temps ils opérèrent une résistance séculaire à tout envahisseur. Ceci explique vraisemblablement leur volonté, ténacité, ingéniosité développée, ici encore plus qu'ailleurs, associée au culte du secret, vis à vis des étrangers y compris les Japonais considérés comme tel. Du reste même encore maintenant, quand on parle du
Japon, il est fait mention de quatre îles principales dans lesquelles ne figurent pas les
Ryû-Kyû et donc
Okinawa.
Les premiers contacts
d'Okinawa avec la
Chine remonteraient à la
Dynastie Sui (580 - 618) quand l'Empereur Chinois monta une expédition pour aller à la quête du "pays des immortels" à la recherche de "l'élixir de longue vie".
Au VIIIème siècle
Okinawa payait tribut au
Japon (
Royaume du Yamato) et elle était un relais entre la
Chine et la
Cour du Yamato pour les navires marchands.
Au cours de l'affrontement pour le pouvoir entre les
Minamoto et les Taira (XIème, XIIème siècle), l'île
d'Okinawa va revêtir une importance nouvelle en permettant à ceux qui voulaient fuir les guerres civiles,
Samurai, moines bouddhistes, lettrés, de s'exiler sur les
Ryû-Kyû.
La légende raconte que
Minamoto-no-Tametomo, guerrier hors pair, se serait réfugié sur l'île et y aurait fondé la première dynastie régnant sur les
Ryû-Kyû.
L'île
d'Okinawa, à cette époque, est divisée en trois royaumes autonomes:
Nanzan, montagnes du Sud;
Chuzan, montagnes du Centre; et
Hokuzan, montagnes du Nord, connu sous le nom de "Période des Trois Montagnes". Des conflits locaux existaient et les trois royaumes payaient tribut à la
Chine et au
Japon.
La transmission n'étant qu'orale, il était dit qu'à l'époque des techniques de combat existaient sous le nom de
Té, Dé ou Todé . Cela peut paraître vraisemblable quand on sait qu'en 1372, en faisant allégeance aux Empereurs Chinois
Ming (1368 - 1644), qui à partir de cette date l'Empereur Chinois confère leur titre aux rois de
Ryû-Kyû, le roi
Satto (1349 - 1395), du
Chuzan, acceptait de recevoir une délégation Chinoise à chaque nouvelle accession au trône et ce jusqu'en 1866.
La délégation était composée de fonctionnaires civils et militaires qui pouvaient atteindre jusqu'à un effectif de 500 personnes, et l'événement c'est reproduit 23 fois de 1372 à 1866. Les voyages étant peu sûrs à cause des
Wakô (pirates), il est raisonnable de penser que ceux-ci étaient protégés d'autant plus qu'ils représentaient une délégation officielle et que ladite délégation a pu jouer un rôle important dans la transmission de l'art de combat.
Un comptoir Okinawaien fut ouvert dans la province du
Fujian, en
Chine, offrant la possibilité aux Okinawaiens d'aller étudier les arts Chinois. Les deux autres royaumes
d’Okinawa, Oufusatô, roi de
Nanzan et
Haniji, roi de
Hokuzan suivirent la même démarche quelques temps après.
En 1393, la main mise par l'Empire du Milieu se concrétisât par l'envoi à demeure, dans la localité de
Kumemura près de
Naha, d'un groupe que l'on désignait par les "
36 familles". Les échanges culturels et commerciaux, entre le comptoir Chinois de
Kumemura et celui Okinawaien à
Fuzhou dans la province du
Fujian, permirent d'établir des relations nouées au cours du temps et furent le creuset de la transmission de l'art de combat Chinois.
Les trois royaumes se réunifièrent, vers 1429, sous la direction du roi
Sho-Hashi (1421 - 1439) qui avait écrasé les deux autres royaumes et changèrent de nom.
En 1469, après une période de troubles politiques et de conflits dans la famille
Shô,
Kanamaru, ministre des finances du roi
Shô, prit le pouvoir sous le nom de
Shô-En et va fonder la dynastie du
"second clan Shô" qui va se perpétuer jusqu'à la fin du XIXème siècle.
A la fin du XVème siècle, le roi
Shô-Shin (1477 - 1526), fils de
Shô-En, par peur des révoltes, fit confisquer tout ce qui pouvait ressembler à une arme, établit un puissant état centralisé, installe son gouvernement à
Shuri ou tous les chefs locaux sont obligés d'y résider et étend son pouvoir aux îles voisines
d'Okinawa. La conséquence fut le développement des techniques de combat à mains nues, à l'état embryonnaire mais certes existantes, et l'intérêt croissant pour tous les ustensiles à usage domestiques pouvant servir d'armes. Les siècles passant, les techniques se perfectionnèrent au point qu'il fut impossible de distinguer ces mouvements incorporés dans les danses populaires
d'Okinawa. Cela donna naissance au
Ti-Gua ancêtre du
Ko-Bojutsu puis du
Kobudo.
La société féodale Okinawaïen était, elle aussi, à la fin du XVème siècle, très hiérarchisée. La divulgation du savoir ne se faisait qu'à partir d'un cadre strictement fermé et les secrets de famille farouchement gardés y compris ceux d'ordre martiaux.
En haut de la "pyramide" se trouvait le roi, les princes avec leurs familles et les nobles de Cour: ils détenaient tous les pouvoirs. Des classes aristocratiques venaient juste en dessous séparées des précédentes par ordre de préséance: Les
Oyakata; Les
Peichin et Les
Satunushi Peichin; titres qui ne pouvaient pas être obtenus si l'origine était populaire. Puis venait les classes moyennes de haut en bas:
Chikudon Peichin,
Satonushi, Saka Satonushi, Chikudon, et pour terminer
Chikudon Zashiki.
Ces huit classes formaient les
Shizoku l'équivalant en Chinois de
Samurai. Une classe était considérée comme inférieure, les
Heinin, le simple peuple.
Azato Anko, professeur de
Funakochi Gichin, Matsumura Sokon,
Sakugawa Shungo avaient le titre de
Chikudon Peichin. Seuls, ceux qui travaillaient au service du roi, avaient droit au titre de
Bushi.
L'avènement du clan
Tokugawa au Japon au début du XVIIème siècle concéda la défaite du clan
Satsuma dirigé par la famille
Shimazu. Vaincu mais non anéanti et acceptant la soumission au nouveau Shogun
Tokugawa Ieyasu, le clan
Satsuma fut orienté vers les îles
Ryû-Kyû et envahirent
Okinawa en 1609 composé d'une armée forte de 3.000 hommes et cela jusqu'en 1879. Alors que petit à petit le pouvoir Shogunal interdit toute relation avec l'étranger, la seigneurie de
Satsuma admet et maintient le rapport de vassalité des
Ryû-Kyû envers la
Chine, lui permettant ainsi des relations marchandes indirectes avec celle-ci.
L'une des premières mesures que prit la famille
Shimazu (clan
Satsuma) fut d'interdire à nouveau les armes. Cet édit n'eut pour effet que de relancer l'esprit de résistance des autochtones et c'est vers 1630 que le
Todé et le
Ti-Gua se développèrent en système complet et complexe à l'abri des regards de l'occupant et de manière ésotérique.
Les entraînements se pratiquaient de nuit et la transmission des techniques se faisait oralement. Petit à petit et au fil des ans, des experts devinrent chef de file et codifièrent leur enseignement aboutissant, vers le XIXème siècle, à des ramifications en style:
Shuri (
Shuri-Te),
Tomari (
Tomari-Te) et
Naha (
Naha-Te) du nom des localités qui les a vu naître. Les deux premiers styles étaient connus sous le nom de
Shorin-Ryu et le dernier sous celui de
Shorei-Ryu.
Le terme Chinois
Shaolin, nom du temple Chinois berceau des arts martiaux, se dit
Shorin ou Shorei en Okinawaien, ce qui laisse penser à la filiation Chinoise de
l'Okinawa-Té.
Sous l'impulsion de grands Maîtres
l'Okinawa-Té va se structurer.
L'Okinawa-Té.
De stade embryonnaire le
Todé ou Okinawa-Té va se codifier sous l'impulsion d'experts qui deviendront des chefs de file. A l'époque il n'est pas encore question de création de
Ryu (école). Le
Todé était l'art du combat qui venait de Chine et
l'Okinawa-Té avait été dénommé ainsi pour regrouper le
Naha-Té, le
Shuri-Té et le
Tomari-Té. Ce n'est que bien plus tard que les "styles" verront le jour.
Sakugawa "Shungo" Kanga (1733 - 1815? selon les sources) est né
Teruya Kanga et pris le nom de
Sakugawa lorsqu'il fut élevé au rang de
Peichin, serviteur du roi. Il apprit l'art du combat auprès du moine
Takahara Peichin au milieu du XVIIIème siècle à
Akata (Shuri).
Seigneur
d'Okinawa, il aurait été envoyé par son gouvernement en Chine pour apprendre la culture et les sciences Chinoises et en serait revenu ayant acquis l'art du combat Chinois
Todé. Sa fonction était entre autre d'escorter les navires qui portaient tribut à la
Chine, exprimant ainsi leur lien de vassalité; charge qui était confié aux tous meilleurs experts dans l'art du combat.
Sakugawa "Shungo" Kanga, après plusieurs voyages en
Chine, est considéré comme le premier enseignant du
Todé à
Okinawa à avoir "ouvert" une école (dans la mesure ou à l'époque l'art du combat était transmis de manière ésotérique) et se donna le surnom de
Todé Sakugawa à la mort de
Takahara Peichin. Sakugawa "Shugon" Kanga est à l'origine du
Shuri-Té. Ce dernier était très âgé quand on lui présenta
Matsumura Sokon âgé d'une dizaine d'année.
Matsumura Sokon est né, selon les sources, en 1792, 1798, 1800, 1805 ou 1809..!!!. Il était issu d'une famille de nobles
d'Okinawa. C'est son père qui l'emmena auprès de l'expert de
Todé qu'était
Sakugawa "Shugon"Kanga.
Vers l'âge de vingt ans il est nommé garde du palais du prince ce qui en dit long sur sa maturité technique. Il poursuit sa formation auprès de sa belle famille en épousant
Tsuru "Chiru" Yonaminé issu d'une famille d'experts en
Todé.
Ses fonctions auprès de la Cour lui permettent de voyager et, vers l'âge de vingt quatre ans, il est envoyé dans la seigneurie de
Satsuma pour une mission de vingt six mois ou il reçoit l'autorisation de s'entraîner à l'art du
Kenjutsu (sabre) de l'école
Jigen-Ryu réputée pour la dureté de ses entraînements.
Quelque temps plus tard, il est pressenti pour accompagner en Chine le groupe qui apportait le tribut à l'Empereur. Durant son séjour il parfait sa formation dans l'art du combat auprès d'un maître Chinois nommé
Wèi Bo,
Iwa en Okinawaien, qu'il fera venir sur l'île pour enseigner son art.
Toutes ses connaissances furent déterminantes dans la vision qu'il avait de l'art du combat et dans la mise au point de sa propre forme technique de combat. Il est à la création du
Shuri-Té qu'il fit évoluer vers le
Shorin-Ryu. Il transmit son art à de nombreux élèves dont
Azato Anko et
Itosu Anko qui furent tous deux les enseignants de
Funakoshi Gichin.
En ce premier quart du XIXème siècle, les événements qui se passaient au
Japon n'affectaient pas ou peu les
Ryû-Kyû compte tenu de leur éloignement. Pourtant les années du clan
Tokugawa était comptées quand
Azato Anko (1827 - 1906) vit le jour.
Issu d'une famille aisée,
Azato Anko avait été élevé au rang de
Chikudon Peichin (serviteur du roi) par la Cour. Élève de
Matsumura Sokon, il développa le
Shorin-Ryu issu du
Shuri-Té. Il avait étudié le
Kenjutsu (sabre) de l'école
Jigen-Ryu, le
Kyujutsu (tir à l'arc) et le
Batjutsu (l'équitation) tout comme
Matsumura Sokon.
Azato Anko n'enseigna jamais à titre officiel, il n'avait pour simple et uniques élèves que
Funakoshi Gichin et
Ogusuku Chogo en cours privé. Les entraînements, longs et fastidieux, avaient lieu la nuit en des endroits cachés et furent consignés dans l'autobiographie écrite par Maître
Funakoshi Gichin.
Après de longues années de cette rude formation,
Azato Anko présenta
Funakoshi Gichin à
Itosu Anko, ami de longue date, issu lui aussi de l'école
Matsumura. Si
Itosu Anko fut considéré comme l'héritier officiel de
Mutsumura Sokon, un certain nombre pense que
Azato Anko était considéré comme le
Kage-Shihan "l'héritier de l'ombre" (celui qui détient le savoir de l'école).
Itosu Anko (1830 - 1916) avait 16 ans quand il fut introduit auprès de
Matsumura Sokon. Il apprit le
Shuri-Té ainsi que le
Kenjutsu (sabre) de l'école
Jigen-Ryu. Il devint fin lettré aussi bien en Chinois qu'en Japonais lui permettant ainsi de pouvoir abordé aisément ces deux cultures. Il occupa de ce fait un poste de secrétaire auprès du roi Okinawaien
Sho-Tai jusqu'à la dissolution de la monarchie en 1879.
Itosu Anko va se retrouver en 1868 à la charnière de deux périodes: celle de la féodalité, bien que la restauration de l'Empire eut lieu en 1868, ce n'est qu'en 1879 qu'
Okinawa deviendra préfecture du nouvel Empire restauré et celle post-féodale.
Le
Japon se mit sur la voie de la modernité et un nouvel ordre s'établit avec de nouvelles règles. Ce sont peut être les
Samurai qui perdirent le plus de prérogatives même si les nouvelles classes sociales édictées par l'Empereur regroupaient
Samurai et
Ronin dans celle des
Shizoku, les
Kazoku regroupaient tous les nobles, impériaux comme shogunaux et les
Heimin, composaient tout le peuple n'appartenant pas aux deux premières.
Saigo Takamori (1827 - 1877) tenta bien un baroud d'honneur à la tête de 40.000
Samurai pour abattre le nouvel Empire mais il fut défait à la bataille de
Kagoshima et fut contraint de se suicider.
En 1885,
Itosu Anko prit sa retraite et se mit à l'enseignement du
Todé comme il lui arrivait encore de l'appeler. Les nouveaux sports (déjà!!), importés par les Occidentaux, attiraient la population et les jeunes en particulier.
Itosu Anko était l'héritier officiel de
Matsumura Sokon et le dilemme se posa au fil des ans de garder ou de divulguer cet héritage. L'art du combat pratiqué sous des formes guerrières n'avait plus sa raison d'être pour
Itosu Anko. La montée du nationalisme, la conscription militaire obligatoire et la mise en place de l'éducation physique à l'école concourut à la diffusion de
l'Okinawa-Té.
Le Japon venait de remporter la victoire sur la
Chine en 1895 et un disciple de
Itosu Anko, nouveau conscrit, s'était particulièrement fait remarquer sur les champs de bataille et sera connu sous le nom de
"Sergent Yabu". Il fut l'un des premiers à faire connaître
l'Okinawa-Té en dehors d'
Okinawa par les combats qu'il remportait lors de sa préparation militaire. Le
"Sergent Yabu" de son nom
Kentsû Yabu (1863 - 1937) n'eut de cesse de vanter les mérites de son art et les biens faits que cela pourrait avoir sur la jeunesse et la santé.
Emboîtant le pas de son disciple,
Itosu Anko, fin lettré et de part la position qu'il occupait, réussit à faire accepter
l'Okinawa-Té, après moultes tractations, comme moyen d'éducation physique à l'école primaire d'
Okinawa en 1901.
C'est en plein conflit russo-japonais, 1904 - 1905, que
l'Okinawa-té fut définitivement adopté comme discipline d'éducation physique au lycée et à l'école normale.
C'est au "
Sergent Yabu", devenu héros de guerre et professeur d'éducation physique et de préparation militaire, que l'on doit cette forme d'entraînement, fait de travail en ligne et de commandements donnés de manière militaire, encore pratiqué de nos jours dans certains clubs.
Jugeant les
Katas comme
Naihanchi (se dit aussi
Naifanshi)
Kushanku et autres part trop complexes,
Itosu Anko élabora un programme qui déboucha sur la création des Katas
Pinan à partir de
Kushanku, scinda
Naihanshi en trois Kata, et il considéra cela comme moyen d'apprentissage plus abordable de
l'Okinawa-Té pour des enfants du primaire.
Petit à petit il fit fermer les poings pour éviter les blessures et le
Todé ou
Okinawa-Té, qui prendra le nom de
Karaté-Do plus tard, à travers l'école primaire commença sa lente ascension vers le grand public.
Itosu Anko était surnommé
"la main sacrée du Shuri-Té" et l'héritage qu'il laissa reste présent dans de nombreux styles dont
"Shito-Ryu" et
"Wado-Ryu"
Itosu Anko transmit son art à de nombreux disciples dont le plus connu d'entre eux fera connaître le
Karaté-Do au Japon puis au monde entier:
Funakoshi Gichin.
Retrouvez ce texte en format pdf L'Okinawa-Te